Anthony Macgregor King
Psychologue clinicien au Vésinet
Anthony Macgregor King
Psychologue clinicien au Vésinet

Papa chéri… je peux te parler ?


« Papa chéri… je peux te parler ?... »

« Oui mon fils, vas-y, je t’écoute. »

« Tu sais, papa, après ce qui s’est passé, j’ai quand même un peu peur. »

« Oui, moi aussi, chéri, figure-toi que moi aussi… ça m’arrive d’avoir peur, parfois, tout comme toi. »

« Alors, que fais-tu quand tu as peur, papa ? »

« Eh bien, qu’est-ce que je fais quand j’ai peur ? Tu sais, c’est une bonne question, mon fils. À vrai dire, je ne suis pas sûr… Alors comment tu répondre ?…  Eh bien, d’abord, je dirais que je n’ai pas toujours le courage, comme celui que toi tu as, celui que tu manifestes là, de l’admettre et de le dire avec autant de simplicité que toi aujourd’hui… »

« Donc, on pourrait dire que c’est bien que je te le dise… parce que parfois tu me dis de ne pas avoir peur… et là tu me dis que c’est bien de le dire, que j’ai peur… »

« C’est vrai… Parfois tu as peur des monstres et je te dis que les monstres n’existent pas, et que tu ne devrais pas avoir peur des monstres imaginaires…  Mais aujourd’hui c’est différent… ce qui te fait peur est bien réel. Donc c’est normal d’avoir peur… et cela me semble même être un très bon début, ou disons une belle façon de l’affronter, cette peur. Enfin, c’est peut-être comme cela qu’on commence à l’accepter… en faisant comme toi qui as choisi de la partager avec ton papa… tu me dis : papa, j’ai peur. Et tu sais, cela m’invite à me rapprocher de toi… »

« Et ensuite, que fait-on après, qu’est-ce que nous faisons maintenant ? »

« Après ?… une fois que toi, tu l’as partagé avec moi ?… eh bien, cela facilite les choses pour moi… je peux plus facilement l’admettre… à dire vrai, je suis presque obligé de l’avouer… pour te montrer que moi aussi je peux faire preuve de ce courage que tu as eu de dire – papa j’ai peur. Et ensuite après, on peut s’épauler… être là, l’un pour l’autre... s’appuyer l’un sur l’autre… enfin, nous sommes deux maintenant, n’est-ce pas ?… et déjà, nous sommes un peu plus fort, et toi et moi, tous les deux : pas seul, mais ensemble. Grâce à toi, moi non plus, je ne suis plus tout seul avec ma peur, parce que tu t’es rapproché de moi… tu m’épaules, toi aussi tu vois, et je t’en remercie… et si on faisait un câlin…  Qu’en dis-tu ? »

« Oui… oui, j’en veux bien papa… un bon câlin, très serré, très très fort…»

… encore plus fort… oui, oui, comme ça… tiens-moi bien dans tes bras… »

« Et si j’ai toujours un peu peur, papa… là, quand je quitte tes bras, même si je m’assois auprès de toi, elle revient un tout petit peu, tu sais, je le sens, elle n’est pas tout à fait partie ma peur… Que puis-je faire alors, maintenant, avec cette partie de peur qui me reste ? »

« Ah… mais tu le dis si bien, mon fils… Cette peur, elle est ta partie de peur… Et elle ne va pas disparaître… Pas complètement dans tous les cas… Je crois qu’il va falloir que nous – c’est-à-dire toi et moi, nous et les autres, oui, eux aussi –, il va falloir que nous apprenions à vivre avec notre partie respective de peur… c’est cela le courage… de continuer, malgré tout… chacun avec son petit lot… plus ou moins grand, plus ou moins petit, selon sa façon d’apercevoir et de ressentir les choses… chacun continue, mais pas seul… faisons cela plutôt ensemble. Qu’en dis-tu ?… ne pas en restant seul dans son coin, dans sa chambre, dans son bureau, à sa table tout seul, non… mais plutôt en s’épaulant, l’un l’autre…  en faisant des câlins…  mais surtout, surtout en parlant, l’un avec l’autre… avec les mots, comme nous faisons ici, maintenant, ensemble, toi et moi… c’est comme ça, je crois, comme ça que nous pouvons l’apprivoiser… avec les mots, ils sont nos soldats à nous… et notre armée est immense ! Nous la mobilisons en parlant… voilà le secret !»

« L’apprivoiser… Comme dans Le Petit Prince ?… »

« Oui, exactement, comme dans le livre d’Antoine de Saint-Exupéry. Te souviens tu de ce que le renard dit au Petit Prince ?… »

« Oui, à peu près… eh ben, pas vraiment papa… tu pourrais me le rappeler ? »

« Bien sûr, mon fils… je pense à ce secret dont le renard lui fait cadeau et partage doucement avec le Petit Prince… avant qu’il ne s’en aille… souviens-toi, il lui dit : Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »

« L’essentiel est invisible pour les yeux. »

« Oui, c’est ça. L’essentiel est invisible pour les yeux, et pourtant, nous le voyons bien avec notre cœur. »

« D’accord papa, l’essentiel est invisible pour les yeux… mais justement, mon secret c’est que j’ai un peu peur… et ce n’est pas même plus un secret… parce que je l’ai partagé avec toi… et puis… je ne vois pas ce qui est l’essentiel… parce que c’est invisible… tu peux m’expliquer un peu plus s’il te plaît ? »

« Oui, en tous cas, je vais essayer, mon fils… L’essentiel, je crois, est cela : tu es venu vers moi, avec tes mots, et tu as crée un lien entre nous… tu m’as fait cadeau d’un secret… tu as partagé avec moi ta peur et, grâce à ton élan, grâce à ce mouvement vers moi, grâce à tes mots à toi, j’ai pu, moi, à mon tour, aussitôt partager ma peur avec toi… c’est ensemble, donc, que nous apprivoisons nos peurs, l’un avec l’autre, parlant l’un à l’autre, écoutant ce que l’autre à sur le cœur, comme on dit… tout en sachant qu’on n’est plus seul… et ce lien entre nous, si sensible et en même temps si fragile, il est désormais renforcé, grâce à toi, et il est donc moins fragile… et c’est toi qui as eu le courage de venir vers moi et cela le rend plus précieux encore, plus vivant, plus doux, plus fort, et c’est ça, je crois, ce qui est invisible aux yeux des hommes, l’essentiel qu’on tisse avec l’autre, avec les mots, nos petits soldats à nous, avec les petites pauses de silence entre les rangs, pour que chacun puisse trouver sa place dans l’échange… lorsqu’on s’écoute, comme maintenant, c’est un lien précieux qu’on se crée avec l’autre, avec papa, maman, Maxime, Alice, Karim, Sophia, Pierre, Yann, Emilie, David, et ainsi de suite, et c’est ce lien que l’on cultive, tout comme le Petit Prince apprivoise la rose qu’il arrose avec de l’eau chaque jour…  qui fait que la rose devient si importante pour le Petit Prince… et réciproquement. »

« Oui, mais la rose pourrait être autre chose encore… je me souviens maintenant… le renard lui dit : c’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. »

« Et c’est ça l’essentiel… on ne voit qu’avec le cœur… et pas avec les yeux.»

« Donc on peut se raconter des histoires… »

« C’est même l’une des meilleures façons de passer le temps, mon fils, de l’embellir et d’embellir sa vie… et surtout, de le faire ensemble, être ensemble pour se raconter des histoires… c’est comme ça que nous mobilisons notre armée des mots, ces soldats fidèles qui se mettent en rang… ces trésors anciens qui s’ouvrent encore pour nous, entre nous, et qui nous unissent… invisiblement… c’est cette armée d’aplomb, immense et invisible, ce sont nos soldats nos plus grands trésors, ce sont eux qui se mobilisent sur-le-champ, qui tremblent sur nos lèvres, prêts à tout instant, volontaires à créer, à épauler, à entraider, pour que les liens entre les rangs puissent être renforcés encore et encore… »

« Tu m’arroses avec des mots, papa ! »

« Oui, tu as compris le secret du renard, mon fils… et si je t’arrose avec des mots, eh bien, figure-toi, c’est parce que tu es si important à mes yeux que je suis prêt encore à passer beaucoup plus de temps à le faire… »

« Donc tu m’as apprivoisé… »

« Je l’espère bien, oui… nous nous sommes apprivoisés… et je suis responsable de ma rose…»

« Mais eux, ceux qui ont fait ça… ils n’arrosent pas avec des mots… »

« Non, et c’est très, très triste, mon fils. Ils n’aiment pas la beauté, pas celle que nous aimons, celle créée par les mots, par les femmes, par les hommes, par les enfants. Pour tout dire, je crois qu’ils n’aiment pas créer, pas du tout… à vrai dire, je crois qu’ils préfèrent détruire… et c’est peut-être ce qui nous diffère le plus d’eux. Nous, nous aimons créer, embellir, chanter, danser, faire la fête… faire des dessins, raconter des histoires, chanter des belles chansons, joyeuses ou tristes, aller voir des pièces de théâtre féériques, des spectacles de toutes sortes, des tableaux abstraits et pleins de couleurs, des décors fantastiques, des costumes loufoques et des robes élégantes, manger des plats délicieux et insolites et boire des vins parmi les plus raffinés au monde, déguster des fromages exquis et imaginer des fictions à frôler les contours les plus reculés de la vie… nous, nous aimons créer, pas eux. Nous sommes des hommes et des femmes sensibles,… qui aimons la vie !»

« Je vais faire un dessin pour raconter tout cela. »

« Vas-y, mon fils, c’est la plus belle idée du présent ! Dessine-moi Paris à l’heure de la fête ! »

« L’essentiel, c’est invisible pour les yeux, mais visible, visible et vivant dans le cœur de ce qui aiment la vie. »

« Tu as tout compris, mon chéri – et chacun est responsable pour sa rose ! »

© Anthony Macgregor King (Novembre 2015)


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