Du non-sens à l'idéation suicidaire
Le non-sens, pour nommer l’antonyme, à ce malheur de créer une perspective étroite, voire verrouillée. L’individu a l’impression de vivre à l’intérieur d’un espace-temps émaillé de répétitions, et d’une pression sans relâche, où le semblable, du pareil au même, courtise le désespoir. Ici, le mythe de Sisyphe, pour l’analogie, prend tout son sens. C’est le « cycle de l’absurde » de Camus. L’effort, sans issue, donc insensé. L’effort pour l’effort, sans issue aucune. « Je ne vois pas la fin ». « Pis encore, je ne sais pas comment je pourrais tenir le coup ». « Cela fait déjà si longtemps que ça dure, que je tiens ».
Il y a un sentiment d’épuisement émotionnel. « Comment arrêter la répétition, faire cesser cette pression, et l’effort insensé à fournir, toujours à fournir, sans cesse… et qui n’en finit pas ? » L’individu souffrant n’a pas l’impression de pouvoir choisir autre chose ou autrement. L’avenir semble par moments forclos. Il se peut qu’il y ait, selon les circonstances, l’impression d’un choix « confisqué ». Alors, comment s’en sortir ?
La spirale suicidaire
Le non-sens est la chienlit du fantasme noir. De là, le non-choix – ce qui est le suicide, acte ultime de désespoir – paraît comme la seule issue possible. En finir avec l’insupportable douleur.
Quand le désespoir est tel que cette équation vitale de sens pareil broyée, irrésoluble et obscurcie par des facteurs de stress externes et/ou des conflits internes, alors la descente dans la spirale suicidaire peut s’accélérer, tout d’abord envisagée et déployée comme exutoire plausible, elle se mue en fuite ultime devant la souffrance, le corps en douleur, épuisé et plié devant le mur écrasant : de cette impossibilité de pouvoir y remédier ; et cela, bien que l’individu ne veuille souvent pas véritablement se donner la mort. Car il y a le plus souvent un lien innommable qui retient la personne, un lien ténu et indicible ; l’angoisse, oui, parfois c’est le cas ; ou une peur bleue des conséquences, aussi, ou bien de « rater son coup » ; et puis, la culpabilité, bien sûr, là aussi comme ailleurs, la culpabilité avant l’heure du passage à l’acte ; et peut-être y a-t-il autre chose encore qui retient la personne. Quelque chose de sous-jacent à tout cela, un vestige usé et à peine opérant de l’espoir, une onomatopée venue de loin qui traduit cette voix, celle qui murmure en sourdine que cela pourrait s’arrêter, changer, être autrement... si…, et pourtant…, comment s’y prendre ? Comment faire pour s’en sortir puisque la perspective immédiate semble crier tout le contraire ? À quoi bon vivre ça comme ça !?
Un dialogue à contre-voie
Seule une chose paraît peu ou prou certaine : la souffrance intime et intimement immédiate de l’individu doit être reconnue, entendue et soutenue, le temps qu’il faut. Sinon, le risque d’aggravation de la souffrance, et in fine, l’éventualité d’un passage à l’acte, ou bien de récidive, est majeur.
En revanche, la reconnaissance de la souffrance (par le dialogue) permet au moins d’ouvrir une fenêtre. De pousser une lucarne. De créer une ouverture, aussi mince soit-elle. Celle-ci donne à voir sur un sentier à contre-voie. Un chemin jusque-là inexploré. Une piste potentiellement praticable. La perspective nouvelle qui s’en dégage grâce au dialogue qui devient la substance d’une hypothèse nouvelle. À explorer ensemble, peut-être. De là, un tout petit virage vers le sens pourrait être peu ou prou amorcé. Qui sait ?