Pourquoi s’engager sur un chemin comportemental différent de ce que j’ai l'habitude de faire ? Parce que je peux apprendre à me connaître moi-même et à reconnaître mes émotions, me mettre à les écouter attentivement, m’ouvrir à elles, sans pour autant les juger, ni me juger à la lueur de leur ombre. Nous pouvons tous apprendre à vivre plus simplement, et donc bien plus intelligemment ; puisqu’en apprenant à accepter ce qui « est », je cesse de refuser ma « réalité », telle qu’elle émerge en moi dans le présent ; je l’accepte, au défaut de la juger, au lieu de la nier, au lieu de me couper d’elle et m’enfuir (y compris de moi-même). Heureusement, nous pouvons tous apprendre, encore et encore, que le présent, ainsi que son cortège parfois « négatif », voire « très négatif », évoluent ensemble avec nous ; nous vivons une sorte de cohabitation avec ce qui nous traverse ; sans être figés par lui, par elle(s), par ceci ou cela.

Cet apprentissage de la vie intérieure se fait au contact de la réalité, à savoir au contact de ma réalité intime.

Je reconnais et j'accepte

Il convient de le préciser encore : il s’agit là d’un choix conscient de réagir différemment ; un choix plus ou moins radical, bien que simple en soi. Je re-connais ce qui « est » au lieu de juger ce que je ressens. Dit simplement, c’est un choix bienveillant envers moi-même ; un choix qui ressemble davantage à une « bonne réponse » face à ma réalité intérieure et son cortège émotionnel, qu’il soit négatif ou pas. Il s’agit de dire « oui », juste parce que ce qui « est » « est » encore là, au dedans, à l’œuvre en moi. Mieux vaut le reconnaître, n’est-ce pas tout ce qui est demandé ?

Reconnaître ce qui « est » vaut l’acte d’accepter la présence de ce qui « est » – peu importe sa qualité, peu importe la couleur sombre ou son énergie intense. Si c’est là, pourquoi le nier ? Pourquoi se mentir à soi-même ? Pourquoi prétendre que ça soit autrement ? Nombreux sont ceux qui le font. Or, en la résistant ainsi, on la renforce. De nombreuses souffrances sont induites et intensifiées par cette habitude, habitude que je ne cesse de répéter : c’est-à-dire résister contre ce qui « est ».

De l'acceptation doit naître une issue

Accepter : pourquoi est-ce une bonne réponse ? Pourquoi vais-je y trouver une issue ? Tout d’abord, parce qu’il s’avère beaucoup plus efficace à la longue de dire « oui », de reconnaître ses émotions, de les accueillir, sans refus – qui est un acte de négation. Que cela soit difficile sur le coup, c’est-à-dire d’aller contre une habitude, certes, c’est une évidence – c’est difficile ; mais l’acte d’accepter l’évidence de ce qui « est » en nous, est bien plus édifiant à terme pour la personne entière. Et par le mot efficace, là aussi, il faudrait entendre « édifiant pour moi… édifiant pour la personne entière qui choisirait d’accepter l’évidence de ses émotions, toute ses émotions, sans exception aucune, car elles sont des forces intérieures à l’œuvre en soi, et c’est donc davantage édifiant de leur dire : oui, je vous accueille en moi, sans m’identifier à vous ». Celle-ci est peut-être une meilleure réponse, justement, parce qu’elle est plus bienveillante pour moi que ne serait de les refuser, ou bien l’acte ultime porté contre moi-même à savoir de me juger.

Qu'en est-il de l'acte de se juger ?

Ensemble, regardons ceci de plus près. Qu’est-ce que cela implique ? L’acte de porter un jugement de valeur sur ce qui nous traverse est une réponse qui s’est, à maintes reprises déjà, constituée en habitude, sinon un comportement intime quasi naturel. Un reflexe, nous l’avons déjà dit. Nombreux sont ceux qui ont cette habitude. Habitude bien établie, qui découle tout naturellement, avec pour résultat que le jugement émis nous domine. Oui, nous devenons dominés par les jugements que nous portons sur nos émotions. Pourquoi ? Parce que nous nous identifions à elles. Et, par conséquent, nous nous identifions aux jugements plaqués sur elles. (Pour revenir un instant à ces gourous de positivisme, c’est bien là où le vrai gouffre de négativité se présente à nous, gouffre béant et avide : voici la véritable spirale de négativité qui trouve son vortex dans la force négative de nos jugements ; si l’on s’engouffre dans cette spirale anxieuse et malfaisante, alors, il n’y a aucune prise pour éventuellement s’en dépêtrer, pour se désobstruer, pour s’en sortir avec la tête et l’esprit clairs. Voilà la négativité à éviter à tout prix : celle de nos jugements nuisibles portés habituellement sur nous-mêmes et sur nos émotions passagères.

L’inclination quasi instinctive de chacun, ou presque, c’est de qualifier les émotions, et, très souvent, de coller sur elles une étiquette à la hauteur de leur soi-disant négativité, l’étiquette la plus « négative » qui soit plaquée sur nos émotions les plus désagréables à vivre, et, par conséquent, les plus difficiles à supporter et à reconnaître par la suite. Puisque, là aussi, l’étiquette les fige, d’emblée, laissant peu de place à d’autres voies, laissant peu de place à d’autres angles de vue, laissant peu de marge de manœuvrer sur d’autres pistes afin de sortir d’une situation désormais démarquée comme étant « négative ».

Par quels qualificatifs sont-elles étiquetées ? « Désagréables » et « destructrices » ; « inopportunes » et « inacceptables ». Au point d’être proscrites. À en juger la liste est longue : une colère interdite, une tristesse bannie, une haine inacceptable, une envie inavouable, un désir honteux, un dégout méprisable, un malheur illégitime, et ainsi de suite… Et les ayant jugés ainsi, nous finissons par nous y identifier. Nous devenons presque cette étiquette-là. Le malheureux résultat de ce jugement est de les réifier, de les chosifier, de les figer, et, en même temps, de nous fixer à elles. Et c’est cela, le résultat néfaste de l’acte de s’identifier avec ses émotions, c’est de les devenir, ou, du moins, d’avoir l’impression de les incarner, en chair et en os. Et l’on se dit, en moi il y a quelque chose d « interdit », de « banni », d’« inacceptable », d’« inavouable », de « honteux », de « méprisable », d’« illégitime »… Voici la négativité à éviter à tous prix. Car celle-ci est destructrice, bien entendu. De fait, l’étiquette plaquée sur l’émotion ou le ressenti en question nous coupe définitivement d’elle. Dès lors, nous ne sommes plus en contact avec ce qui nous traverse, au-dedans de nous. Les pensées négatives qui alimentent mon présent s’enkystent à volonté autour de moi et je deviens la négativité même, celle qui risque de me consumer.

Alors, c’est plus ou moins à ce moment que les questions commencent à fuser : « pourquoi dois-je vivre ça ? ; dois-je vraiment accepter la chose comme telle ? ; que puis-je essayer de faire pour modifier, voire transformer, ma situation actuelle ? ; comment pourrais-je y échapper ? ; comment pourrais-je m’y soustraire ? » L’énergie que je dégage en alimentant ce genre de questions (bien souvent sans réponse) donne lieu à un conflit en moi, un conflit vif à l’intérieur de moi-même ; car je suis en conflit avec une partie de moi-même ; entre « moi et mes émotions, je suis en lutte » ; et cette lutte me contamine et me consume. La spirale peut aller loin, très loin. Ceux qui s’identifient à cette négativité peuvent passer à l’acte, et parfois même, vouloir en finir avec la vie.

Ce qui se passe au niveau le plus intime à ce moment intense, pendant cet « instant » de l’orage intérieur, orage qui peut durer des heures ou, par intermittence, peut s’étaler sur quelques jours, voire semaines ; ce qui s’y passe au-dedans de nous nous empêche d’accepter ce qui « est » à l’œuvre en nous – que l’on le veuille on non. Et, de même, que l’on le veuille ou pas, ceci continue et demeure ce qui « est » en nous. Le refus d’accepter de ce qui « est » en nous, nous empêche d’accueillir notre propre réalité, nous empêche de l’accepter comme elle est – à savoir provisoire et changeante – juste ce qu’elle « est », pas plus ; ce refus nous ferme à nous même. Nous devenons étranger à ce qui nous traverse, et par le processus d’identification, nous sommes pris au piège de la négativité et peu à peu, nous la devenons. Ainsi, nous sommes de plus en plus coupés de la force potentielle en nous, y compris celle de notre entendement. Notre intelligence vitale. Le refus d’accepter ce qui « est » en nous ne nous apporte aucune clarté, ne nous permet aucun recul, ne nous octroie nul sens de paix. L’évitement n’est qu’une stratégie factice, temporaire ; une façon de proroger le rendez-vous avec soi. Pendant que les mêmes pensées et les mêmes questions se multiplient et se confondent, alimentant un conflit vif intérieur, nous nous éloignons de la vitalité nécessaire, et une pise de distance d’avec l’émotion, ce qui aurait été le premier pas posé vers une solution plus édifiante, plus bienveillante, et plus juste ; or, c’est ceci dont nous avons si besoin : la bienveillance envers nous mêmes.

Pour résumer : c’est le refus de ce qui « est » en nous, le jugement qui s’ensuit, et l’indentification avec l’étiquette de ce jugement qui, dans l’ensemble du processus qui s’enchaine, déclenche la spirale, spirale de négativisme envers soi qui peut s’avérer très destructeur pour l’individu concerné ; la responsabilité de cette spirale nuisible n’est pas à attribuer aux émotions en amont qui nous traversent, bien qu’elles soient « négatives ». Cette distinction, entre ce qui « est » d’une part, et le jugement posé là-dessus d’autre part, est de première importance. 

Un choix délibéré

Certes, l’acte de l’acceptation de ce qui « est » nous demande un effort, un effort conscient et répété, et donc une force de persévérance. Une attention accrue. Un choix délibéré. Mais ceci n’est pas réservé aux individus d’exception : Pape François, Dalaï-Lama, maîtres spirituels musulmans, juifs ou bien d’autres maîtres de toute disciplines. Non, ce comportement recommence chaque fois très simplement avec un changement d’habitude, changement de son comportement intime, un changement somme toute minuscule et invisible : l’acceptation de ce qui « est » ; c’est une décision basée sur la reconnaissance de ce que je ressens, même vaguement ; c’est le premier pas essentiel vers une plus grande liberté personnelle. L’acte de reconnaissance veut que j’accepte plutôt que de refuser ce qui « est » émergeant en moi. Ceci est à la portée de tout et chacun.  

Il s’agit bien évident d’un processus. Et, disons-le, c’est un projet de vie qu’on recommence à l’aube chaque jour. Mais force est de constater que je progresse, grâce au choix délibéré de reconnaître la vie intime en train d’émerger en moi, grâce au choix d’accueillir la manifestation intime de l’émotion qui me traverse, qu’elle soit décrite comme négative ou positive, peu importe : elle « est », et je la reçois ainsi.

L’acceptation complète de ce qui « est » à l’œuvre en nous nous permet de nous octroyer une certaine distance, parfois minime de prime abord, certes, mais une distance tout de même bien utile, une distance qui finit par changer le regard posé sur les choses en cours en nous ; et, grâce à cet acte volontaire de ne pas confondre ce qui « est » avec que nous sommes, nous évitons sciemment bien de dégâts collatéraux sur le plan personnel et subjectif. Nous contournons la spirale négative, par le fait même de choisir de « traverser » authentiquement le « brouillard » ce qui « est » en nous.

La clarté et le sens qui s’en dégagent nous font avancer ; clarté et sens, émanant tous les deux de la distance prise d’avec ce que nous traversons.

En un mot, l’acceptation de sa réalité au présent, et, par extension, l’acceptation des émotions soulevées par elle, demeure le chemin le plus avisé à emprunter, afin de mieux traverser les expériences multiples de sa vie, expériences sur lesquelles nous n’avons souvent pas de prise directe une fois dans leur sillon.

L’acte de l’acceptation de ce qui « est » demeure le seuil le plus simple à franchir, c’est une porte ouverte à tous, une porte dont l’ouverture emmène l’individu vers une vie de plus en plus authentique (confiante et calme). Voilà ce qui a du sens !