La culpabilité est l’état de celui qui est coupable. C’est aussi l’état de celui qui se sent coupable. La psychologie contemporaine a, avec raison, attiré l’attention sur le fait qu’on peut se sentir coupable sans l’être. Dans un livre déjà ancien : L’univers morbide de la faute, le docteur Hesnard a beaucoup insisté sur cette culpabilité endogène, décrite comme un état psychologique fondamental, sans motif. Dans ces cas pathologiques, le sentiment de culpabilité préexiste aux actes commis et dispose le sujet à s’en sentir coupable et à s’en punir. De telles dispositions peuvent résulter d’une affectivité subconsciente mais aussi être engendrées ou développés par l’éducation. Pour ne pas causer de tels dégâts, il est fréquent, depuis un certain nombre d’années, que les éducateurs perdent de vue le sentiment de culpabilité sain et utile qui procède du jugement moral d’une conscience qui estime exactement la responsabilité et sanctionne à bon escient les actions répréhensibles par le regret ou le remords. Une tendance abusivement simplificatrice n’a voulu retenir que la découverte du sentiment pathologique de culpabilité. L’unique souci a donc été de déculpabiliser alors qu’il est aussi important d’éveiller les consciences. Cédant à cette tendance, il est fréquent, aujourd’hui, que nous entendions employer le verbe culpabiliser sous la forme active intransitive, qui n’est pas encore en usage dans les dictionnaires. La personne qui s’exprime ainsi, qui dit « je culpabilise », signifie qu’elle se donne, à tort, mauvaise conscience, à propos de la façon dont elle s’est conduite en face de telle ou telle difficulté. Sous prétexte de lucidité psychologique, tout jansénisme mis à part, on peut s’aveugler.
Isabelle Mourral, Le Sens des Mots, Editions de Paris, 1997.