Composée d’une émotion et d’un essaim de pensées, la culpabilité est un phénomène qui surgit à l’intérieur de l’être. C’est un arrière-goût, contaminé d’un reproche que l’on se fait, que l’on nous a fait ou les deux à la fois, qui ne font qu’un, liés en substance amère.
De notre héritage judéo-chrétien, la culpabilité constitue l’un des vestiges, en réalité, toujours aussi opérant qu’opprimant. La personnification de la faute (pêché originale) qui créa le mythe fondateur de la Genèse (premier livre de la Bible).
Aujourd’hui encore, la culpabilité s’impose à l’individu lorsqu’il ou elle a le sentiment, induit ou « émergeant » – selon la « norme morale » de référence – d’être en faute, pris en faute, fautif, accusé ou pas de l’être. Un simple regard suffit. Si ce n’est le ton réprobateur d’un commentaire, l’emploi de certains mots, une réflexion que l’on se fait et qui se répète de façon insidieuse, avant de se muer peu à peu en reproche acide.
La Composition
De même qu’il existe des plaisirs mineurs et majeurs, petits et grands, sucrés et onctueux, la gamme des culpabilités nous offre un spectre vaste en amplitude.
Deux mesures s’y mêlent : intensité et poids.
L’intensité de la culpabilité peut varier considérablement. Elle va le plus souvent de manière croissante, selon la rigidité de la norme morale élective. De même, le sentiment de culpabilité se mesure plus ou moins proportionnellement au poids ressenti de la « faute » commise – une dérivée de sa gravité présumée. Pourtant, c’est toujours relatif à quelque chose. Ce qui laisse place nette à une grande variabilité interindividuelle, c’est-à-dire d’une personne à une autre. Puisqu’il y a d’un côté le code moral auquel l’on adhère (mesure tout sauf stable au cours d’une vie – même si l’on aime bien défendre une cohérence indéfectible, cohérence dont l’on ne fait que rarement la démonstration) ; et de l’autre, il y a cette question du poids ressenti de la « faute », variable car interprété comme un écart à la « norme morale » de référence, pour une situation donnée.
En somme, la culpabilité est le fruit d’une interprétation implicite. Force est de constater que toute interprétation peut évoluer, avec l’apport d’un flux changeant d’information ; et surtout, de l’information qui n’était pas à sa disposition auparavant.
En ce sens, ce qui se traduit aujourd’hui comme étant une « faute », ne le sera pas forcement à l’avenir, et ne l’était peut-être pas hier non plus.
Les Conséquences
La culpabilité se traduit toutefois par un sentiment d’agitation très désagréable, mêlée d’une tension et d’une anxiété, qui peut parfois mener à un épisode dépressif.
Être en proie à une forte culpabilité « larvée » peut pousser l’individu à des actes extrêmes – allant jusqu’au suicide. Il y a néanmoins des cas moins extrêmes lesquels compliquent tout autant le dysfonctionnement familial (et personnel) d’une manière chronique. Et surtout, lorsque la culpabilité devient motrice dans la mise en place de décisions qui accroissent le (dys) fonctionnement relationnel.
À titre d’exemple : lorsque un individu, tout en cherchant à réparer une « erreur » commise jadis, et agissant sous le joug de la culpabilité (souvent non avouée et non reconnue), met en place un comportement (acte, décision, obligation, injonction) qui ne fait qu’exacerber le dysfonctionnement relationnel à l’œuvre dans le présent. Cela peut avoir des conséquences graves. La culpabilité est toujours mauvais conseiller. On ne peut jamais déjouer le passé. En outre, la simple volonté qui pousse l’individu à vouloir essayer de le faire, témoigne souvent d’une incapacité à assumer sa pleine responsabilité concernant l’acte (« l’erreur ») jadis commise.
Cependant, l’individu peut aussi trouver le courage d’agir autrement, d’affronter sa souffrance, sans l’angle mort de la culpabilité – qui mène vers un fourvoiement certain. Pour cela, il vaut parfois mieux être deux, trouver l’écoute bienveillante qui va permettre de sonder l’émotion qui compose le phénomène de culpabilité et d’analyser intelligemment le flot de pensées qui y sont liées.
L'Antidote
Affronter sa part de responsabilité relative à « une erreur » est l’un des actes les plus intelligents et matures qui soit. C’est d’ailleurs le chemin le plus efficace (qui mène) vers une plus grande cohérence d’actes et de pensées. Ce qui importe avant tout, c’est d’en parler, d’en parler autrement et à un autre que soi-même (de qui émane ce discours culpabilisant).
Pouvoir choisir de se livrer et de se « délivrer » d’un poids qui est devenu souvent une charge insupportable - voilà le défi !
Comment se libérer, sans nommer le poids qui est peu à peu devenu ce fardeau invisible ?
La triste alternative serait de rester assiégé par ce phénomène, redoutablement (in)efficace – qui est, en somme, un monologue intérieur trop souvent émaillé de reproches. Mais à quoi bon !