C’est une question que nous posons souvent, et particulièrement lorsque nous traversons des périodes ardues – physiquement ou psychiquement difficiles – où la douleur et la souffrance sont au premier plan de notre vie intérieure. Où il semble impossible de faire semblant, d’ignorer le « brouillard émotionnel » ou de contourner ces émotions, parfois « destructrices » ; et, où il est impossible de faire abstraction de ce qui « est », à l’évidence, à l’œuvre en nous. Impossible, peut-être, parce qu’il s’agit bel et bien de notre réalité proprement vécue – la seule qui nous appartient dans le présent.
En de tels cas, comment faire afin de mieux « traverser » les émotions « négatives » que la situation présente (ou passée) soulève en nous ?
L’acquiescement est la première étape ; c’est-à-dire je me dis le suivant : j’accepte ce qui « est », sans me fixer sur l’état émotionnel qui me traverse.
L'acte de l'acceptation
L’acte d’accepter intégralement ce qui « est » n’est pas chose facile ; toutefois c’est de prime importance, si nous voulons vivre plus authentiquement avec nous-mêmes ; accepter ce qui « est », et par le fait même de dire « oui » s’ouvrir à la possibilité d’accueillir les émotions que la situation « vécue » lève en nous, et que nous ressentons fortement dans le présent. L’acte d’accepter ce qui « est » demande d’être présent à soi-même. Accepter, c’est aller contre une habitude acquise qui se focalise sur la « négativité », qui se focalise sur ce qui ne va pas en moi, et qui limite donc, par ce même fait, mon champ d’action. Il est nécessaire de mettre en œuvre l’acquiescement dès l’émergence de l’émotion, sinon existe le risque de me circonscrire dans un « brouillard négatif ». Autrement dit, il est nécessaire d’accepter ce que nous avons l’habitude de refuser. En outre, accepter ce qui « est » est une réponse délibérée, consciente et bienveillante, qui nous demande un surcroit d’effort et une attention envers nous-mêmes, à la lumière de cette émotion ; c’est un effort nécessaire afin de mieux faire face à la vie.
Et si je refuse de les accepter ?
À dire vrai, refuser l’acte de l’acceptation ne serait qu’une échappatoire temporaire. Car nullement nous ne pouvons nous défaire de ce qui « est » dedans, de ce qui « est » à l’œuvre en nous. Cela est, somme toute, impossible. Bien entendu, il nous reste le choix de le refuser, ou de l’esquiver, oui, c’est une possibilité, l’une de celles qui s’inscrivent dans la quête d’une existence indolore, factice et restreinte, limitée et limitant.
Le refus est l’une des trois réponses possibles face à un « brouillard émotionnel » négatif : primo, nous pouvons décider de le subir, en s’y identifiant ; secundo, nous pouvons le refuser, nettement, ou bien partiellement, en tachant de le chasser (par une prise de médicament – prise qui peut être parfois abusive – ou par d’autres moyens à notre disposition) ; ou, tertio, nous pouvons l’accepter, ce « brouillard émotionnel » négatif – l’accepter pour ce que c’est : un état passager, qu’il soit alimenté par un démon intérieur, par un doute, une peur ou une « grande » incertitude, une blessure ou une angoisse…
La réalité émergente ?
Arriver à accepter la réalité émergente en nous est le premier pas indispensable qui nous permettra d’avancer de façon plus « avisée », et cela afin d’aller de l’avant à travers ce qui « est ». Cela demande que nous soyons présents à nous-mêmes. Alternativement, si nous optons pour le refus, nous nous coupons souvent de ce qui « est » en nous, à savoir une certaine forme de souffrance, disons-le ; mais par ce même refus de l’accueillir tel quel, nous ne faisons que différer la rencontre éventuelle avec cette même souffrance, et, à terme, le refus répété risque de nous couper définitivement de notre corps, corps qui, lui, ressent et emmagasine tout ce que nous ressentons à l’intérieur – que l’on le veuille ou non. De même, au défaut de l’accepter, si nous optons de le subir, ce qui voudrait dire que nous nous identifions avec la « négativité » de l’émotion, alors, en ce faisant, nous nous limitons en la devenant, nous devenons ancré au centre du « brouillard », au risque d’y plonger.
Éviter le jugement inutile, c'est mieux pour soi
L’acte de l’acquiescement. Plus facile à dire qu’à appliquer ? La réponse est oui. Mais l’essentiel est ceci : éviter le jugement négatif porté sur l’émotion, jugement qui mène inexorablement à notre identification avec elle, avec elle et avec la négativité qu’elle représente désormais.
Pour éviter ce genre de jugement, comment faire ? Je me dis que, pas à pas, je peux y arriver. La première « bonne » décision : elle est de ne pas échapper à ma « réalité » intime, mais de l’accepter – pour ce qu’elle « est », répétons-le. C’est ainsi que je vais de l’avant, en la reconnaissant, sans y porter de jugement de valeur, sans m’identifier à elle, pour ne pas me limiter ultérieurement en devenant cette même « négativité » ancrée dans mon jugement.
Dans le « pourquoi vis-je cela ? », il y a souvent une mise en cause de notre personne, voire un jugement contre soi-même. Il est courant de le faire, c’est-à-dire de se juger comme inadéquat – à cause de ceci ou de cela, à cause de celui-là ou de celle-ci. Peu importe la raison ; peu importe la personne. Le jugement relève souvent d’une mise en comparaison avec une forme d’idéal – un idéal à la fois inatteignable et souvent mortifère. Or, c’est précisément ce jugement de valeur « plaquée » sur nos émotions « négatives » (et donc sur nous-mêmes) qui s’avère complètement inutile et contre productif à notre cheminement personnel. C’est important de souligner à quel point cela est nuisible à la personne.
Mieux vaut re-connaître ce qui « est » – pour ce qui « est », sans plus – au lieu de juger ce que « je ressens », ce qui « me traverse ». Voilà la mise en garde bienveillante.
Un jugement sans compréhension
Car le jugement se fait toujours au détriment de la personne qui se fixe à son « étiquette » et se limite à sa valeur, en devenant la négativité qu’elle recèle. En outre, si je veux avancer doucement, je me dois de ne pas lutter contre la/les force(s) ressentie(s) en moi, à savoir celles composées de cette émotion « négative » qui me traverse à présent. Le jugement s’accapare de ma personne et me coupe d’emblée de l’émotion que je ressens. Or, je peux faire autrement. À la lumière sombre de cette émotion, je peux faire autrement sachant que la force manifeste de cette émotion se tarira ; et plus tôt je l’accepte, plus vite tarira sa force – puisqu’elle est, par définition, passagère, bien que parfois récurrente – ; oui, je peux faire autrement, avec l’attention requise, en refusant de m’identifier à cette émotion, puisqu’elle est passagère… Pourquoi me réduire à ce qui « est » passager en moi, alors que je peux faire autrement, à savoir la reconnaître et l’accueillir ? Il s’agit-là de faire la part entre moi et elle. En somme, elle ne me définie pas. Et cela est de première importance.
Arriver à reconnaître ses émotions, telles qu’elles se présentent à nous, équivaut à dire « oui » à ce qui « est » en nous ; sans le moindre jugement, tout en restant présent à nous-mêmes, au cours de « ce » même présent changeant.
Résumons l’essentiel : l’acte de dire « oui » de cette façon est un acte authentique ; j’acquiesce, et en ce faisant, j’accepte ce qui « est » ; il ne peut rien y avoir de factice dans l’acte de l’acceptation de ce qui « est » en moi : j’accepte ce qui « est », sans le juger, ou sans les juger – ces « émotions négatives » – et sans me juger non plus, parce qu’elles sont-là, comme un brouillard ; car elles sont là passagèrement, et je les accepte juste comme telles, c’est tout. L’acquiescement revient à dire « oui » à nous-mêmes au sein d’un présent que nous aurions pu décider sciemment (ou pas) de refuser d’emblée.
L’acte de dire « oui » n’est pas un reflexe acquis pour la plupart de gens. Très souvent, on préfère se mentir à soi-même, afin d’échapper à une réalité à laquelle l'on préférait se soustraire. Admettons-le, l’acte de dire « oui », n’est pas commode, surtout au début, dans une mise en pratique attentive, lorsque la situation « émerge là » en nous. Néanmoins, l’acte d’accepter ce qui « est » là reste une façon puissante d’agir ; c’est une « bonne réponse », pourvue d’une puissance subtile qui est aussi un moyen formidablement édifiant.
Pourquoi est-il édifiant ? Peut-être parce que l’acte de l’acceptation est le contraire de la réaction habituelle que nous avons : la « lutte », c’est-à-dire le choix de « lutter contre » ce qui « est ». Tout le monde semble prêcher « la bonne lutte » de la vie quotidienne ; alors que l’idée même de « cesser toute lutte » est perçue comme synonyme d’une version lâche de la résignation.
La décision de dire « oui » est à contre-courant de la démarche des gourous du positivisme, à contre-courant de ceux qui « dénoncent » (ou proscrivent) la « négativité » à tout bout du champ (de la conscience) ; à contre-courant aussi de ceux qui préfèrent prescrire des tentatives multiples d’aplanir ce qui « ne devrait pas être », et pourtant qui « est », à l’évidence, en nous. Non, à l’inverse, opter pour l’acceptation de ses émotions « négatives », l’acte même d’y répondre « oui » – de se dire : je les accepte – est presque contre-intuitif.
Une remarque en forme de précision : il ne s’agit point de s’y plonger, bien évidemment ; mais seulement de les re-connaître, pas à pas, pour ce qu’elles sont. Car, après tout, en leur octroyant cette reconnaissance nécessaire, je leur donne la juste place dont elles ont besoin. Plus vite je les accepte, plus vite tarira leur force.