L’angoisse est extrêmement réelle pour celle ou celui qui la subit. Elle est un symptôme imprévisible, handicapant et douloureux, un symptôme qui néanmoins ne dit pas son vrai nom. Son vrai nom, l’angoisse le dissimule le plus souvent, justement, car c’est cela son rôle.

L’angoisse dissimule de notre conscient le véritable « terrain » qu’elle occupe. De quel terrain s’agit-il ? Le plus souvent il s’agit d’un « terrain » existentiel à penser dont l’individu ne veut rien entendre. Et puisque l’individu n’en veut rien savoir, l’angoisse générée par ce « terrain de peur » (peur de la mort, d’être abandonné, ou d’un conflit intrapsychique trop fort à soutenir) se manifeste le plus souvent par le biais d’un autre terrain moins perturbant pour l’esprit conscient – mais perturbant tout de même. L’angoisse a cette vocation (singulièrement inconsciente) de se voiler la face.

Alors, quelles sont les peurs et les craintes, les inquiétudes et les situations « possibles » que l’angoisse dissimule à nos yeux ?

Les terrains propices à la peur

En général, nos angoisses se résument en quelques mots : elles concernent les pensées que l’individu refuse d’aborder de plus près, ou qu’il refuse d’élaborer par le biais de la parole, ou dont il refuse de ressentir la pleine amplitude, en vue de les reconnaître, enfin, comme étant-là… l’angoisse à la vocation de masquer toutes ces choses, toutes ces éventualités « inimaginables », y compris des situations plausibles, et dont l’individu ne veut pas entendre parler. Or, c’est justement en préférant « se protéger » de ses pensées « inimaginables » que l’individu octroie à l’angoisse le « terrain » où l’angoisse finit par s’enkyster – pour ensuite devenir chronique.

En ce sens, nous pouvons dire que l’angoisse est le cri de cette crainte de ce qui refuse de se taire en moi – ce que je n’ai pas apprivoisé.

Citons quelques exemples plus ou moins connus : les conflits insupportables pour la pensée ; la peur d’être abandonné ; de fortes culpabilités ; une peur de séparation ; la peur de disparaître ; un sentiment généralisé d’insécurité ; la crainte que « quelque chose » se répète à moi ou à quelqu’un d’autre (en lien le plus souvent avec un événement traumatique vécu – directement ou indirectement) ; et enfin, il y a bien entendu la peur existentielle de la mort, ou autrement dit, la peur que ma condition humaine, telle que je la vis, n’existe plus – et que je sois englobé dans le grand néant.

Qu'est-ce que c'est l'angoisse ?

L’angoisse est à la fois une réponse primaire (aux peurs et aux craintes non avouées par l’individu) et une conséquence symptomatique (des traumatismes non élaborés par l’individu). Vouloir se débarrasser de ses angoisses, sans faire l’effort de les comprendre, de vraiment comprendre ce qui les sous-tend, serait une erreur. Car l’angoisse opère en nous presque comme une diversion (partielle ou totale), une diversion désagréable, certes, mais une diversion tout de même : pour que l’on ne voit pas ce qui gêne véritablement l’individu plus en profondeur, c’est-à-dire ce qui le terrifie sur le plan existentiel.

Pas étonnant, donc, que l’individu se plaigne le plus souvent de souffrir de ses angoisses. Elles sont handicapantes. Elles sont douloureuses. Elles sont aliénantes et imprévisibles, par définition.

Or, en tant que symptôme, l’angoisse est le plus souvent le fruit d’un conflit psychique ou d’un traumatisme mal résolu, car insuffisamment élaboré – repoussé, refoulé, nié. Et c’est ce dernier qui devient le « terrain miné » par l’angoisse, terrain qu’il faudrait explorer avec un thérapeute expérimenté. 

L’angoisse à trois âges différents

Trois exemples précis de l’angoisse à trois âges différents :

  1. chez l’enfant : l’angoisse engendrée par la peur de quelque chose qui n’existe pas (monstre, vampire, « loup ») ;
  2. chez l’adolescent : l’angoisse suscitée par la « rencontre sexuelle » éventuelle ou le « contact intime » entre deux corps ;
  3. chez l’adulte : les TOC (en somme, un comportement qui donne à l’angoisse un simulacre de contenance) avec notamment des rituels autour du rangement (et / ou axés sur la symétrie, et / ou assortis d’une obsession de comptage, et / ou en lien avec des pensées de la mort ou de la maladie).

Des pistes thérapeutiques

Trois regards sur quelques pistes thérapeutiques à suivre :

1/ Dans le premier cas, la tentation de rationnaliser avec l’enfant nous mène très souvent à un échec. Et surtout, lorsque l’enfant défend bec et ongle l’existence de son « monstre », tout en sachant pertinemment qu’il n’existe pas. Le monstre n’est qu’un support. Un support utile pour l’angoisse, notamment pour l’angoisse liée à un ensemble de peurs et de craintes qui n’ont rien à voir avec le « monstre » supposé. Ce dernier devient le support utile dont l’angoisse se sert afin de mieux dissimuler les craintes, les peurs et les conflits dont l’enfant ne veut strictement pas entendre parler. Au fond, l’enfant a besoin d’être rassuré, et plus particulièrement il ou elle a besoin d’être rassuré(e) là où l’insécurité affective l’habite.

2/ L’adolescent est ici en proie à la peur générée par la rencontre éventuelle avec le désir d’autrui. « Qui suis-je pour autrui ? » « Que veut-il (elle) avec moi ? » « Qu’en est-il de mon désir ? » Ces trois questions s’ouvrent sur un champ très vaste. Tout d’abord, un travail d’appropriation serait nécessaire : identifier, nommer, prendre possession de…  ce qui m’appartient. Cela est nécessaire en amont, afin de désamorcer l’angoisse liée à cette rencontre, en aval. C’est un travail d’élaboration (sur le corps, sur l’image du corps, sur le fantasme, et autour des peurs et éventuellement sur les traumatismes passés, si traumatismes il y a eu). Un travail qui ne fera pas l’économie des éléments pédagogiques, qui permettront petit à petit à l’individu d’apprivoiser ce qui lui appartient (c'est-à-dire son désir, et comment en faire usage, en étant libre et responsable) lors de la rencontre sexuelle.

3/ Dans le troisième cas, bien que quelques méthodes thérapeutiques puissent atténuer le comportement obsessionnel (le symptôme), cela risque le plus souvent de donner lieu à un accroissement dans la manifestation de l’angoisse, à moins que celle-ci (et ce qu’elle dissimule) ne soit travaillée en psychothérapie. Car l’angoisse surgit plus violement lorsqu’elle n’est plus contenue – ou du moins partiellement – par le comportement défensif ritualisé (TOC). Comme nous avons proposé ailleurs dans ce texte, il s’avère souvent plus utile de poser son regard intérieur sur ce qui sous-tend les craintes de l’individu.